BELGIQUE : Afrique et diaspora à la 37e édition du FIFF Namur

CADOT-SAMBOSI Sidney - FACC - France / Angola
Date de publication : 13/10/2022
Affiche de la 37e édition du FIFF Namur

La 37ème édition du Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) n’affiche pas moins de quatre films africains à son palmarès. Des films percutants ancrés dans nos problématiques politiques et sociales actuelles, parmi lesquels Sous les figues, Bayard d’or, La Gravité, Prix Spécial du Jury et Le Marchand de sable, Bayard de la Meilleure Première Œuvre. Enfin le prix de la meilleure interprétation féminine revient à Eliane Umuhire, l’interprète de Bazigaga dans le court-métrage éponyme du rwandais Jo Ingabire Moys. Une reconnaissance amplement méritée qui augure de lendemains de plus en plus lumineux pour les cinémas d’Afrique et des diasporas.

Cette année, un thème a dominé dans la compétition des long-métrages, celui de la parentalité. Les films en lice pour la compétition première œuvre long-métrage quant à eux ont tous pour sujet des faits de société qui interrogent notre éthique individuelle et collective : la procréation médicalement assistée (PMA), l’inceste, les marchands de sommeil, le refus du deuil, etc. Les court-métrages abordent des sujets plus éclectiques allant d’un fait historique pendant le génocide contre les Tutsis au Rwanda à l’émancipation d’une femme passionnée de Mixed Martial Arts (MMA).

Sous les figues, la grande révélation

La consécration d’Erige Sehiri avec un Bayard d’or pour Sous les figues, son premier long-métrage, marque un événement important pour le cinéma tunisien. La réalisatrice nous offre un cinéma ancré les deux pieds dans la terre. La tête vers le haut et les mains tendues vers le ciel, un groupe de jeunes hommes et femmes cueillent des figues, métaphores de leur liberté fragile et de leur jeunesse fugace destinées à être rangées dans des cases par un pouvoir patriarcal et avare. Ce huis-clos est une fenêtre universelle sur les luttes des femmes, nourri par le désir de la réalisatrice d’inscrire la voix et les corps de ces travailleuses, travailleurs agricoles précaires et invisibilisés dans la mémoire cinématographique mondiale. Un véritable coup de maître, un grand et pur moment de cinéma. Sélectionné aux Journées Cinématographiques de Carthage, la sortie française du film est prévue le 7 décembre 2022. [critique à lire dans le n°23 d’AWOTELE, à paraître le 29 octobre 2022].

Première récompense pour Steve Achiepo

Comédien, scénariste et réalisateur, Steve Achiepo signe Le Marchand de sable, lauréat du Bayard de la Meilleure 1ère Œuvre. Le film retrace l’histoire de Djo (Moussa Mansaly), qui, après des années de prison, vit modestement chez sa mère avec sa fille. Un jour, sa tante paternelle débarque de Côte d’ivoire, ses trois enfants sous le bras, à la recherche d’un toit. Ils ont fui le conflit ivoirien du jour au lendemain. Djo fait tout pour leur trouver un logement décent. Mais la vague de personnes à aider s’accroît. Attiré par la manne financière que représente cette activité, et la perspective d’offrir une meilleure vie à sa fille, Djo bascule et devient marchand de sommeil. L’histoire aborde donc frontalement la problématique des « agents immobiliers » criminels qui exploitent la misère des populations les plus fragilisées, souvent en situation irrégulière en France. Ces personnes victimes de ce business juteux et malveillant, ont le plus souvent fui leur pays ou leur situation à cause des dangers qui menacent directement leur dignité et leur vie. Poignant et brillamment interprété, le récit est porté à l’écran par un œil acéré dont la focale se concentre sur la dignité de chacun des personnages, du plus jeune au moins jeune. La caméra sonde le cœur des tensions et enjeux liés à cette exploitation inhumaine avec des personnages majoritairement noirs, ancrés et très justes. Le Marchand de sable sort au cinéma le 8 février 2023 en France

La puissante Eliane Umuhire, meilleure interprète féminine

L’actrice rwandaise campe Bazigaga, un personnage de fiction librement inspiré de la vie de Zula Karuhimbi qui grâce à son courage a sauvé plus de 200 vies durant le génocide contre les Tutsis au Rwanda. Ce court-métrage lui rend hommage à travers une mise en scène très réussie et la vibrante incarnation d’Eliane Umuhire qui avait déjà été saluée pour son interprétation du rôle de Claudine dans le film Birds are singing in Kigali en 2017. L’actrice est au casting de plusieurs films dont Neptune Frost du poète et rappeur américain Saul Williams et sa compagne Anisia Uzeyman, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes en 2021. Elle sera aussi à l’affiche du prochain long-métrage Augure de Baloji, rappeur auteur-compositeur, réalisateur et directeur artistique congolais-belge.

Cédric Ido, étoile montante du cinéma

Après avoir remporté le Bayard d’or du meilleur court-métrage 2013 avec Twaaga sur un super-héros inspiré par le président burkinabè Thomas Sankara, Cédric Ido est à nouveau salué par le Festival International du Film Francophone de Namur pour son second long-métrage La Gravité. Ce film de genre pas comme les autres sur la banlieue, défie les lois de la pesanteur sociale en mêlant la science-fiction avec les aspirations à une vie meilleure de personnages touchants, sur fond de trafic de drogues en banlieue. Prometteur et porté par des talents inouïs (Steve Tientcheu, Jean-Baptiste Anoumon…), le film sort dans les salles françaises le 21 décembre 2022.

Des films indépendants de haute facture

Si les autres films d’Afrique de la sélection n’ont pas reçu de prix cette année, ils n’en restent pas moins des œuvres fortes et percutante. À l’instar du film Father’s Day réalisé par le Kivu Ruhorahoza, interrogeant les masculinités aujourd’hui au Rwanda. La caméra nous embarque dans le quotidien de trois personnages que tout semble séparer : une mère qui ne s’entend plus avec son mari, une fille qui s’éloigne de son père à cause de son passé lié au génocide contre les Tutsis et un père pauvre asservissant son fils à commettre des larcins comme lui. Trois figures d’homme sont ainsi approchées à travers le regard d’une mère, d’une fille et d’un enfant subissant la déchéance de ces hommes. Un film mené avec brio, saisissant de mélancolie et de profondes réflexions.

L’épatant Nous, étudiants ! de Rafiki Fariala suit trois amis Nestor, Aaron, Benjamin et Rafiki, étudiants en licence d’économie à l’Université de Bangui en République Centrafricaine. Caméra au poing, le réalisateur nous invite à une observation participative des maux qui accablent la jeunesse en Centrafrique : système universitaire corrompu, classes surpeuplées, sexisme féodale et lutte quotidienne pour gagner de quoi survivre. Le film a remporté le Prix des bibliothèques au Cinéma du réel à Paris en 2022. Un réalisateur à suivre à la loupe.

L’incandescent Ashkal de Youssef Chebbi nous plonge quant à lui dans les méandres d‘une affaire policière où plusieurs personnes s’immolent volontairement par le feu dans les jardins de Carthage, un quartier nouveau où les constructions modernes se juxtaposent aux chantiers abandonnés et autres friches vacantes, en Tunisie. Ces faits mystérieux hantent particulièrement Fatma, une des inspectrices en charge de l’enquête, l’amenant aux frontières de la folie. L’immolation est-elle la métaphore d’un pays qui ne cesse de brûler de l’intérieur à cause d’une police politique qui se cache de moins en moins et d’une opposition de plus en plus muselée par l’actuel président Kaïs Saïed ? Un film à l’esthétique envoûtante mais qui semble parfois perdre de vue son propos.

Pour finir, A.O.C le petit bonbon de la sélection officielle des courts-métrages, aborde avec beaucoup d’humour et de légèreté le processus de francisation des identités des personnes demandant la naturalisation en France. Un sujet peu mis en lumière tant il reste tabou et douloureux pour les personnes concernées. Samy Sidali, qui met en scène sa propre histoire, choisit de souligner les absurdités et l’indignité de ce type de procédé administratif avec une grande dérision. Un petit bijou jouissif et tendre.

Références :

FATHER’S DAY de Kivu Ruhorahoza / Rwanda / Fiction / 2022 / 111’

LA GRAVITÉ de Cédric Ido / France / Fiction / 2022 / 84′

SOUS LES FIGUES d’Erige Sehiri / Tunisie, France, Suisse, Allemagne / Fiction / 2022 / 92′

ASHKAL de Youssef Chebbi / Tunisie, France, Qatar / Fiction / 2022 / 92′

NOUS, ÉTUDIANTS ! de Rafiki Fariala / Afrique Centrale, France, République Démocratique du Congo, Arabie Saoudite / Documentaire / 2022 / 82′

LE MARCHAND DE SABLE de Steve Achiepo / France / Fiction / 2021 /105′

BAZIGAGA de Jo Ingabire Moys / France, Belgique, Angleterre / Fiction / 2022 / 27′

A.O.C. de Samy Sidali / France / Fiction / 2021 / 18′

SUR LA TOMBE DE MON PÈRE de Jawahine Zentar / France, Maroc / Fiction / 2022 / 23′